Qui ne dit mot (plus que jamais) consent – commentaire du jugement du tribunal de l’entreprise de Liège, division de Namur du 8 octobre 2019

Mélisande Goffart

QUI NE DIT MOT (PLUS QUE JAMAIS) CONSENT … OU L’IMPORTANCE POUR UNE ENTREPRISE DE RÉAGIR À UN COURRIER METTANT EN CAUSE SA RESPONSABILITÉ SOUS PEINE DE VOIR SON SILENCE INTERPRÉTÉ COMME UNE ACCEPTATION DES TERMES QU’IL CONTIENT – COMMENTAIRE DU JUGEMENT DU TRIBUNAL DE L’ENTREPRISE DE LIÈGE, DIVISION DE NAMUR DU 8 OCTOBRE 2019.

Le principe est bien connu en matière de factures : entre entreprises, le fait de ne pas protester contre une facture à bref délai ou, à tout le moins, dans un délai raisonnable, équivaut à l’acceptation de celle-ci.

L’obligation de réagir promptement ne s’applique cependant pas uniquement en matière de factures mais également à tout autre document qu’une entreprise reçoit. A cet égard, la Cour de cassation a précisé, dans son arrêt du 5 octobre 2018 que le juge pouvait, en matière d’obligations commerciales, déduire de l’absence de contestation d’une lettre adressée à un commerçant une présomption de l’homme que le commerçant accepte le contenu de celle-ci.

Ces principes sont dorénavant consacrés par l’article 8.11 du livre 8 du nouveau Code civil, entré en vigueur le 1er novembre 2020.

Le tribunal de l’entreprise de Liège, division de Namur, a appliqué l’ensemble de ces règles dans un cadre extracontractuel dans son jugement du 8 octobre 2019. Il estime en effet que « lorsqu’un courrier mettant en cause la responsabilité aquilienne d’une entreprise est adressée à cette dernière et qu’elle n’y réagit pas, le juge peut présumer de son silence son acceptation sur les termes du courrier en question ». Dans l’affaire qui lui était soumise, une entreprise avait abîmé les câbles souterrains appartenant à la SA P. lors de chantiers sur lesquels elle était intervenue. La SA P. avait adressé plusieurs courriers à l’entreprise en question, courriers aux termes desquels (i) elle l’avait informée du sinistre intervenu et du fait que sa responsabilité était engagée, (ii) elle lui avait communiqué le montant du dommage et (iii) elle l’avait mise en demeure de lui payer ce montant. L’entreprise n’avait contesté aucun de ces courriers. Le tribunal en a dès lors déduit que celle-ci avait accepté les termes de ceux-ci (tant, précise le tribunal, en ce qui concerne le principe de sa responsabilité que le montant réclamé) et a fait droit à la demande de la SA P. Le tribunal a par ailleurs relevé qu’en l’espèce, la présomption d’acceptation attachée au silence de l’entreprise était d’autant moins contestable dans la mesure où (i) l’entreprise, qui avait déjà été confrontée à de nombreuses reprises aux services de la SA P., connaissait parfaitement sa manière d’opérer en cas de sinistre, (ii) le même tribunal avait déjà retenu une telle présomption à son encontre dans son jugement du 3 novembre 2015, jugement auquel elle avait acquiescé et (iii) les pièces du dossier démontraient que lorsque l’entreprise avait des arguments à faire valoir pour contester les demandes de la SA P., elle l’avait fait.

Si cette jurisprudence doit être approuvée en ce qu’elle est conforme aux principes bien établis en matière de factures et à la rapidité nécessaire qu’implique la vie des affaires, elle démontre l’importance, pour une entreprise, de protester promptement contre tout document qui lui est envoyé en cas de désaccord avec la teneur de celui-ci. Si elle ne le fait pas, elle s’expose en effet à voir son silence s’interpréter comme une acceptation avec toutes les conséquences qui pourraient en découler pour elle (ici, la perte du droit de contester ultérieurement sa responsabilité et le montant du dommage). Notons encore que pour être valable, la contestation doit être motivée.


1 Voir notamment : D. Mougenot, « Le point sur l’acceptation de la facture en matière commerciale », J.T., 2010, p. 2.
2 Y. de Cordt, C. Delforge, T. Léonard, Y. Poullet, Manuel de droit commercial, Anthémis, 2011, p. 74 ; G-L. Ballon, E. Dirix (dir.), La facture et autres documents équivalents, 2e éd., Kluwer, 2016, p. 144-145 ; D. Mougenot, « La preuve », Traité Pratique de Droit Commercial, t. 1, Kluwer, 2009, p. 141 ;D. Mougenot, La preuve, Larcier, 2012, p. 321 ; F. Mourlon Beernaert, La preuve en matière civile et commerciale, Kluwer, 2011, p. 83.
3 Cass. 5 octobre 2018, R.G.D.C., 2019, p. 333 et note A. Lenaerts, « De bewijsrechtelijke gevolgen van de afwezigheid van protest door een handelaar van brieven die een aanspraakbevestiging inhouden ».
4 Pour un aperçu plus détaillé du nouveau régime de la preuve par et contre les entreprises, cliquez sur ce : lien.
5 Cette disposition prévoit que :
« Preuve par et contre les entreprises
§ 1er. Contre des entreprises ou entre entreprises, telles que définies à l’article I.1, alinéa 1er, du Code de droit économique, la preuve peut être apportée par tout modes de preuve, sauf exception établie pour des cas particuliers.
La règle énoncée à l’alinéa 1er ne s’applique pas aux entreprises lorsqu’elles entendent prouver contre une partie qui n’est pas une entreprise. Les parties qui ne sont pas une entreprise qui souhaitent prouver contre une entreprise peuvent utiliser tous modes de preuve.
La règle énoncée à l’alinéa 1er ne s’applique pas non plus, à l’égard des personnes physiques exerçant une entreprise, à la preuve des actes juridiques manifestement étrangers à l’entreprise ».
6 Entr. Liège, division Namur, 8 octobre 2019, J.L.M.B., 2020, p. 224. Il n’y a pas eu d’appel contre ce jugement.
7 Ibid.